Les usages des bases de données distribuées de type blockchain
Il n’aura fallu que quelques années pour que de nombreuses entreprises s’emparent de cette invention et appliquent à divers domaines, outre la banque, ce que le Bitcoin réinvente pour la monnaie : passer d’un fonctionnement centralisé à une organisation décentralisée. Chacune de ces entreprises déploie des services basés sur un registre distribué dont la promesse, à l’instar de la cryptomonnaie, repose sur l’élimination des tiers de confiance historiques (notaire, administration, société de gestion de droit d’auteur…). L’utopie dont est porteur ce modèle de base de données peut s’étendre à tous les domaines nécessitant un organe central ou un tiers de confiance, mais également à toute activité pour laquelle des échanges entre de multiples acteurs induisent de nombreux contrôles, des problèmes de logistique, de lourdeur administrative et parfois de corruption.
Comme aux débuts de l’automobile, lorsque la France comptait 155 constructeurs en 1914, de nombreuses expérimentations en cours dans le monde témoignent de cet engouement pour les blockchains, dont l’intérêt et l’utilité des services proposés sont parfois relatifs.
Selon le site blockchainfrance.net, les applications se classent en trois catégories :
- le transfert d’actifs, comme des monnaies électroniques, des titres, des actions ou des obligations ;
- la tenue d’un registre, garantissant son intégrité comme l’établissement d’un cadastre ou la certification de diplômes ;
- l’exécution automatique de programmes autonomes, appelés smart contracts.
Transfert d’actifs
Rappelons que l’article de Satoshi Nakamoto a été publié en pleine débâcle financière, deux ans après la crise des subprimes aux États-Unis et au moment où, en septembre 2008, plusieurs établissements financiers américains entraient en cessation de paiement.
C’est dans ce contexte que le Bitcoin a été conçu comme un système permettant le transfert d’actifs à travers une monnaie électronique entièrement décentralisée dont les transactions sont validées et sécurisées par les utilisateurs eux-mêmes. D’abord confidentiel, il faudra attendre 2013 pour que la spéculation donne un coup de projecteur au Bitcoin, dont le cours, passé de 100 à 1 000dollars en quelques semaines, attire les foudres et les critiques des professionnels de la banque et des experts de la finance qui furent, et sont encore nombreux, à prédire sa mort imminente. Au-delà de l’aspect sulfureux du Bitcoin souvent associé au darknet, force est de constater que le transfert d’actif sans passer par un organe central trouve des applications de bon sens.
Le marché du transfert d’argent en est un bon exemple. Selon la Banque mondiale, ce marché va représenter 636 milliards de dollars en 2017. Les opérateurs de transfert, comme Western Union, prennent quelque 10 % de commission sur chaque transaction, et encore plus lorsque les transferts concernent l’Afrique, qui perd ainsi, selon l’ONG Overseas Development Institute, près de deux milliards de dollars par an. Le transfert d’argent entre particuliers via une blockchain ferait disparaître les commissions exorbitantes de ces intermédiaires. Par exemple, la fondation Stellar, organisme sans but lucratif créé en 2014 par Jed McCaled, a pour but de développer un réseau de paiement transfrontalier à faible frais, accessible à tous et rapide. La cryptomonnaie émise par Stellar, appelée Lumen, est directement convertie en monnaie fiduciaire locale par des banques partenaires, la compensation ainsi que le règlement des transactions transitant par un réseau unique opéré par IBM. Alors qu’un transfert d’argent, assujetti à une commission calculée en pourcentage, passe par de nombreux intermédiaires et prend aujourd’hui plusieurs jours, une transaction entre particuliers via cette blockchain ne coûte que quelques centimes et est validée en quelques minutes. La plate-forme est actuellement limitée aux paiements transfrontaliers en livres britanniques et en dollars fidjiens, mais devrait à l’avenir concerner sept autres devises d’États du Pacifique Sud, notamment le dollar australien, le dollar néo-zélandais et le pa’anga des Tonga.
Les transactions sont validées et sécurisées par les utilisateurs eux-mêmes
Le transfert d’actifs ne concerne pas uniquement les particuliers. Depuis l’automne 2015, les banques et les institutions financières considèrent les blockchains comme une opportunité pour économiser d’importants frais liés au transfert d’argent. R3 est à la fois une start-up américaine créée en septembre 2015 et un consortium regroupant neuf banques à son lancement, parmi lesquelles Barclays, Crédit Suisse, Goldman Sachs, JP Morgan (qui a depuis quitté le consortium) ou encore la Royal Bank of Scotland. Rejointes sans plus attendre par d’autres institutions financières dont la Société Générale, BNP Paribas ou encore Natixis, ce sont aujourd’hui quelque 80 établissements financiers du monde entier qui mènent de concert des travaux portant sur les blockchains. Il s’agit, non plus de blockchains publiques et ouvertes à tous, mais de blockchains privées, où les nœuds du réseau sont prédéterminés. Si la perspective de réduction des coûts pour le secteur bancaire, jusqu’à 20 milliards de dollars par an, a fait rêver plus d’un directeur d’institution financière, des tensions liées à la gouvernance, la concurrence entre les acteurs et l’absence de résultat immédiatement opérationnel ont déjà provoqué le départ de certains. D’autres initiatives existent, par exemple celle d’UBS, Deutsche Bank, BNY Mellon et Santander, qui souhaitent lancer l’Utility Settlement Coin en 2018, dont le fonctionnement s’inspirerait de la blockchain Bitcoin. Mais « il s’agit plutôt d’une nouvelle architecture IT permettant de faire de la compensation et du règlement plus rapidement », explique Gonzague Grandval, cofondateur de Paymium
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