Civil.co, mais aussi Nwzer, Userfeeds, Factmata Po.et, fondé par l’un des anciens vice-présidents du Washington Post, tous ces projets s’appuyant sur une blockchain ont pour objectif idéal de renouveler la manière dont le journalisme fonctionne.
Depuis son invention au milieu du 19e siècle, le modèle d’affaire du journalisme et plus largement des médias qui les emploient se fonde sur un équilibre, parfois bancal, entre le lectorat ou l’audience, le média et ses journalistes, et enfin les annonceurs. Aujourd’hui, peu de médias s’appuient uniquement sur des recettes provenant de leur lectorat. En France, on peut citer notamment Le Canard enchaîne en version imprimée ou encore Mediapart en version numérique.
Le premier épisode de cette saga « blockchain et journalisme » commence donc avec The Civil Media Company, Civil.co, qui souhaite créer « une plateforme pour un journalisme durable » en s’appuyant sur un token, CVL, fonctionnant sur la blockchain publique Ethereum.
The Civil Media Company ou Civil.co
« Nous sommes une place de marché pour le journalisme : écrire, lire, y réagir et le soutenir. Nous visons à rétablir un lien plus direct entre les lecteurs (ou «citoyens», comme on les appelle chez Civil) et les journalistes (« newsmakers »), tout en écartant les annonceurs, les éditeurs et les autres tiers de l’équation. Nous ne sommes pas un media qui publie de l’information : nous sommes une plate-forme sur laquelle les journalistes peuvent fonder et gérer de manière indépendante des salles de rédaction spécialisées dans le journalisme d’investigation, le journalisme politique et le journalisme local.
Nous pensons que le modèle économique des médias orienté vers la publicité tue lentement le bon journalisme – qui est l’un des piliers pour des sociétés libres et démocratiques. Nous présentons donc un nouveau modèle ».
L’idée de Civil, qui n’est donc pas de réinventer le journalisme mais son modèle économique consiste à imaginer un « journalisme distribué » entre les lecteurs et les journalistes où les intermédiaires – annonceurs, éditeurs, tierces parties non journalistiques, seraient écartés.
Civil propose de résoudre deux problèmes inhérents au journalisme moderne en fonctionnant sur une blockchain : la permanence ou l’immuabilité de l’information, qui pourrait ainsi résister à la censure, et la gouvernance, traditionnellement tenue par le média et ses dirigeants au sein duquel sont employés des journalistes.
- La permanence de l’information, consiste en la possibilité de créer un enregistrement non modifiable de données qui échapperont donc au contrôle d’une seule entreprise. Pour le journalisme, cela signifie que les archives pourront être stockées de manière permanente – et ne pourront être sujettes à la censure du média. Civil s’appuie sur la blockchain Ethereum pour s’assurer que les données sont distribuées sur un réseau sans serveur centralisé que personne ne contrôle unilatéralement.
- La gouvernance consiste en la capacité à créer des structures de pouvoir radicalement différentes qui répartissent efficacement la prise de décision à travers le réseau, par opposition à une concentration du pouvoir entre les mains d’un seul individu ou d’un petit groupe d’individu. Selon Civil, « la Blockchain fournit un mécanisme qui permet aux communautés – c’est à dire aux salles de rédaction – de se gouverner sans une autorité centrale et d’assurer l’indépendance à long terme de la plateforme ».
Le modèle de gouvernance ouverte accorde ainsi aux citoyens qui s’impliquent auprès de ces salles de rédaction (en faisant leur promotion, en vérifiant des faits, en attirant de nouveaux lecteurs etc.) une variété de droits de vote exécutoires.
« En cas de litige – par exemple, si une personne a commis une violation de l’éthique, elle peut contester une action et un vote aura lieu, donnant lieu à une décision qui sera exécutoire sur l’ensemble de la plate-forme ».
Pour participer à la gouvernance de la plate-forme, comme solliciter des salles de rédaction, les utilisateurs sont invités à effectuer des transactions avec un token appelé CVL. Ces tokens sont des jetons issus d’un smart contract fonctionnant sur la blockchain Ethereum et permettent d’interagir avec la plateforme sans passer par un intermédiaire.
Selon ce modèle, le financement d’une salle de presse serait « toujours traçable et transparent ; les citoyens peuvent voir où les salles de rédaction obtiennent leur financement et qui les soutient. Nous pensons que cela apportera un autre niveau d’honnêteté à la plate-forme ».
Le token CVL ne servira pas à accéder aux contenus de ces salles de rédaction mais bien participer à leur gouvernance.
Les newsrooms (salles de rédaction)
N’importe qui peut faire une demande pour devenir une salle de rédaction sur la plateforme de Civil.co : « une salle de rédaction peut être pro-Trump, anti-Trump, pro-NRA, anti-NRA… Il n’y a aucun problème tant qu’elle produit des informations factuelles et vérifiables. […] Toutes les idéologies et toutes les croyances sont bienvenues », expliquait Matt Coolidge, l’un des fondateurs.
Pour être acceptée par la plateforme, une « salle de rédaction » doit fournir un certain nombre d’informations, mais aussi détenir un stock de token CVL.
Aujourd’hui au nombre de dix-huit, les salles de rédactions, devront se conformer aux règles d’une « une constitution du journalisme éthique ». Et ce sont donc les lecteurs qui participent à gouvernance qui veillent à ce qu’elle soit bien respectée par la salle de rédaction.
Par exemple, The Colorado Sun est un « média d’information, sans publicité et détenu par ses journalistes », des journalistes qui ont claqué la porte du Denver Post pour qui ils travaillaient auparavant.
Les partenariats
Le 28 août 2018, The Civil Media Company et Associated Press (AP) ont annoncé un partenariat dont l’intérêt, pour AP, serait de pouvoir établir et suivre les droits des contenus fournis par l’organisation.
Le 9 octobre 2018, The Civil Media Company a annoncé un partenariat avec Forbes, qui souhaiterait utiliser la plateforme Civil pour archiver de manière permanente ses contenus dans un environnement décentralisé. Forbes a pour projet d’essayer la plateforme à partir de l’année prochaine, en utilisant les logiciels de gestion de contenu de Civil.co, appelé Bertie. Les contenus seront alors publiés à la fois sur Forbes.com mais également sur le réseau distribué de Civil.
Une ICO ratée
The Civil Media Company a lancé une ICO entre septembre et octobre 2018, avec pour objectif de lever l’équivalent de 24 millions de dollars et un minimum de 8 millions.
Mais ce sont seulement 681 personnes de 61 pays différents qui ont totalisé 1,3 millions de dollars dont plus de 80% ont en fait été apportés par ConsenSys, une société américaine de technologie blockchain fondée par Joseph Lubin, l’un cofondateur d’Ethereum, qui avait déjà soutenu Civil à hauteur de 5 millions de dollars en octobre 2017.
L’une des raisons de cet échec tient à ce que Civil n’ait autorisé l’achat de CVL qu’aux personnes envisageant de réellement utiliser les jetons pour utiliser la plateforme Civil.com Ces acheteurs devaient donc réussir un test avant de pouvoir effectuer leur achat, d’une certaine complexité selon les dires de certains, ce qui a écarté bon nombre d’investisseurs.
Le 16 octobre 2018, Civil a annoncé que les personnes ayant investi dans cette première ICO seront remboursées intégralement. Malgré cette ICO ratée, le projet continue et il est prévu d’en lancer une autre dans un futur plus ou moins proche.
Quel modèle économique ?
Selon les fondateurs, le modèle économique de Civil.co repose sur deux types de revenus, directs et indirects :
Puisque Civil.co est open source, l’entreprise va développer des « produits, des applications et des services » au bénéfice de l’écosystème (donc des salles de rédaction). Trois grands types de produits concernent ces revenus directs : des outils de publication (publishing), des outils nommés Discourse, comme des services messagerie, de Chat, de pseudonymat, et des outils professionnels, comme des outils de ventes et de donations, des places de marchés et outils de recrutement pour des freelances, des outils de vérification des faits. La liste complète est ici.
The Civil Media Company a également l’intention de créer deux entités à but lucratif :
Civil Studios sera une entité indépendante dont la mission sera de piloter et financer des travaux de journalisme de renom («Civil Originals» à la «Netflix Originals»). Civil Studios recherchera « des espaces vides avec de forts potentiels » et agira en tant que producteur, investissant dans ce journalisme en apportant un soutien de haut niveau, sans participer directement à leur réaisation. « Si Civil Media Company remporte un Pulitzer, un Emmy ou un Oscar, ce sera grâce à un investissement de Civil Studios ».
Civil Labs sera une entité visant à développer des applications logicielles, des outils et des widgets logiciels à succès commercial pour l’écosystème Civil. Civil Labs cherchera à stimuler notre écosystème de développeurs et notre «app store» grand public / entreprise par le biais d’investissements alignés sur la mission et offrant un potentiel de croissance significatif, fonctionnant comme un laboratoire de R & D et un accélérateur (en soutien d’autres projets entrepreneuriaux), comme un « Y-Combinator for Civil ». Mais qu’est-ce que Y Combinator.
Un projet extrêmement ambitieux, peut-être trop, dont la complexité en a refroidi plus d’un. Mais l’entreprise ne s’avoue pas vaincue. Ce n’est qu’en faisant, en se trompant, en recommençant que, progressivement, on arrive à identifier et mettre en œuvre une bonne idée car celle de départ, réinventer la manière dont fonctionne le journalisme, constitue sans aucun doute un enjeu majeur de la réinvention de nos sociétés malades… d’infobésité.
Sources :
Civil and The Associated Press to Collaborate on Blockchain-Based Content Licensing
How to Launch a Newsroom on Civil (and Thoughts on Community-Driven Checks and Balances)
Civil Token Sale Disaster Won’t Kill the Colorado Sun, Editor Says