Cet article vient à la suite de “Blockchain & développement durable” – Livre blanc à paraître (1/2)”
Dans le cadre de la publication de cette première édition, nous nous sommes concentrés sur cinq grands thèmes, (1) l’argent programmable et développement durable, (2) les blockchains pour des services publics plus efficaces, (3) pour un commerce plus responsable, (4) pour une énergie solidaire, (5) les blockchains au service de l’action climatique, pour nous interroger finalement sur la notion de « tokenization » et de mesure d’impact, et enfin réfléchir au concept de développement durable by design.
Les premiers projets de monnaies programmables « durables » ont souvent été élaborés dans le contexte d’organisations non gouvernementales et d’organisations internationales dont les missions sont par nature alignées aux Objectifs de développement durable. Les entités internationales et supra-gouvernementales comme l’Organisation des Nations Unies, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies (PAM) ou la Banque mondiale sont très en pointe sur le sujet. Les projets les plus disruptifs tendent à substituer aux organisations pyramidales traditionnelles et à leur kyrielle d’acteurs opérant en cascade, des modèles distribuées et collaboratifs, dont les objectifs fondamentaux, « peuple, prospérité, planète, paix et partenariats » sont invariables. Ces initiatives sont également mises en œuvre par des États, des associations à but non lucratif, ou encore, par des start-ups, au modèle économique encore peu lisible pour beaucoup. Elles sont enfin déployées par des entreprises bien établies, soit pour éviter une obsolescence de leur activité, soit pour rationaliser leur mode de fonctionnement.
Le caractère programmable d’actifs immatériels, ou matériels, puisque rattachés à la réalité à l’aide de dispositifs et composants techniques de l’Internet des objets (IoT), renouvelle des manières de faire. Faire transiter de l’argent d’un compte à un autre, certes, mais également déclencher un paiement à la survenance d’un événement particulier, l’assujettir à des conditions plus complexes. Suivre une production agricole, du lieu de sa récolte à la logistique empruntée au point de vente, délivrant une information au consommateur.
Au-delà du transfert d’argent en pair-à-pair, sans plus passer par un intermédiaire, la monnaie programmable, trouve déjà des applications concrètes dans quatre grands domaines directement liés aux Objectifs de développement durable : l’investissement à impact social (impact investing), l’économie durable et les monnaies complémentaires (sustainable development economy and currency), l’inclusion financière (financial inclusion) et les collectes de fonds, les aides et la charité (fundraising, aid and charity). Ce qui rend possible ces applications repose sur la nature même des blockchains et des smart contracts* : transférer de la valeur, en pair à pair, à travers un registre immuable assurant une transparence des flux financiers sans qu’il soit nécessaire de passer par des intermédiaires dont l’objet ne serait que la vérification, l’audit ou le contrôle des transactions sur le réseau.
Les blockchains inaugurent également de nouvelles manières de penser l’efficacité de services publics comme le cadastre ou le vote, mais aussi de réinterroger la notion d’identité numérique, à la fois « or noir » et « bête noire » du 21e siècle dans les pays développés, selon celui qui les exploite ou qui en subit l’exploitation. Dans les pays en développement, la gestion d’une identité numérique à travers une blockchain permettrait à quelque 1,1 milliards de personnes « invisibles » d’accéder à la propriété de leur propre terrain, d’ouvrir un compte bancaire, de faire du commerce et bénéficier de crédit ou d’aide au développement mais aussi d’accéder à un système de santé, de scolariser des enfants et même d’accéder à la justice.
Face à l’exigence d’un commerce international plus transparent au fur et à mesure qu’il se complexifie, les blockchains pourraient améliorer la traçabilité des matières premières, comme Circulor au Rwanda ou Better Cobalt en République démocratique du Congo, permettant ainsi de lutter efficacement contre le financement de conflits armés. Dans le domaine de la traçabilité agricole, AgriLedger/ AgUnity, en soutenant les petits agriculteurs et les petites coopératives au Kenya, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Éthiopie, illustre avec force un moyen d’améliorer, sur le terrain, les conditions de vie locale des populations. La traçabilité alimentaire et la traçabilité des modes de production, permettent d’offrir une transparence entre l’exploitation agricole ou maritime et l’assiette du consommateur, en garantissant, tout au long d’une filière responsable, un salaire décent pour le premier de la chaîne, tout en outrepassant de nombreux intermédiaires qui rendent le système actuel opaque, sujet à la fraude et largement deresponsabilisant pour le consommateur.
Le recours aux blockchains dans le domaine des énergies renouvelables trouve des applications concrètes dans cinq grands domaines : Garantir l’origine verte de l’énergie utilisée, comme avec l’entreprise allemande Lition ou l’initiative TEO menée en France par Engie et Air Products and Chemicals. Développer l’autoconsommation collective, c’est-à-dire la mise en relation entre producteurs et consommateurs d’électricité, à l’échelle locale, comme Power Ledger en Australie, ElectraSeed en Afrique, ou encore l’expérimentation française à Lyon, menée par Bouygues Construction, Microsoft, Energisme et Stratum. Inciter à la production d’énergie solaire, avec SolarCoin, dont le jeton* sert également à régler ses factures d’électricité dont la production provient d’énergie renouvelable. Effectuer de manière automatisée et fiable le calcul d’économie d’énergie, pour quantifier et justifier des performances carbone. Et enfin, inaugurer de nouveaux modes de financement des énergies renouvelables comme avec Enerfip, Lendosphère ou encore Lumo.
Enfin, les blockchains nourrissent l’espoir de porter de façon optimale le système de gouvernance prévu par l’Accord de Paris sur le climat en lui conférant précisément l’ensemble des vertus qui font défaut à sa mise en œuvre : des engagements volontaires, décentralisés, traçables et potentiellement monétisables de pairs-à-pairs grâce à l’intégrité que confère ce tiers de confiance entièrement distribué entre les parties.
Si la notion de tokenization, – en français jetonisation ou tokenisation, désigne le processus à travers lequel un actif et ses droits associés sont divisés en fractions, représentées sous la forme numérique d’un jeton, afin d’en assurer le suivi et d’en permettre les échanges, quel pourrait-être son impact sur la poursuite des Objectifs développement durable ? Les actifs tokenisés sont d’abord purement financiers mais porte également sur le réel, comme la propriété immobilière, la production d’électricité, des transactions de commerce international ou encore des systèmes de crédit carbone. D’autres, comme la fondation IXO, proposent déjà, par l’usage de blockchains, de « collecter, mesurer, évaluer, valoriser et tokeniser des données d’impact vérifiées ».
Entre tokenisation et mesure d’impact, notre interrogation finale aura été celle de savoir si certaines initiatives blockchains, pourraient être le vecteur d’un « développement durable by design » et quelles seraient les premières recommandations pour entamer une étude en ce sens.
Extrait de la synthèse du livre blanc :
“Blockchains et développement durable”, publié en partenariat avec l’Institut Louis Bachelier et l’agence Coreum, rédigé par Jacques-André Fines Schlumberger, Patrice Geoffron, Stéphane Voisin, Pierre Champsavoir, avec les contributions de Noémie Dié et Anne-Cécile Ragot.
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