Blockchain & monnaie communautaire : l’exemple de Grassroots Economics

Grassroots Economics est une fondation à but non lucratif qui développe et met en œuvre des programmes de monnaies communautaires dans les quartiers défavorisés des grandes villes d’Afrique de l’Est et Centrale, et notamment au Kenya.

En 2010, Grassroots Economics a lancé son premier programme de monnaie communautaire dans les quartiers défavorisés de Mombasa et de Nairobi au Kenya, avant de s’étendre à quatre autres communautés locales. Cinq monnaies locales circulent en 2015 et sont alors réunies sous un parapluie commun appelé Sarafu Credit[1].

Ces différents monnaies complémentaires permettent, lorsqu’il n’y a plus de circulation de monnaie nationale, le shilling kenyan, de continuer à satisfaire localement les besoins essentiels, tels que l’accès à la nourriture et le paiement des frais de scolarité.

Jusque récemment, ces monnaies prenaient la forme de billets en papier, circulant à côté de la monnaie nationale, le shilling kenyan.

Les monnaies communautaires créent ainsi un moyen d’échange stable lié au développement local et contourne ainsi l’instabilité économique et la rareté de l’argent liquide, tout particulièrement lors de crises, telle que celle provoquée par la Covid 19 en mars 2020.

En juin 2018, Grassroots Economics a fait évoluer son système de monnaie papier vers une blockchain en utilisant le protocole et le réseau Bancor[2].

Bancor est un service basé sur la blockchain Ethereum permettant l’échange décentralisé de jeton (appelés DEX, pour Decentralized Exchange) reposant sur des smart contracts et des « Atomic Swap ».

Un Atomic Swap permet à deux personnes qui ne se connaissent pas d’échanger des jetons sans intermédiaire et sans avoir besoin de se faire confiance. Si l’un d’eux ne respecte pas son engagement et n’envoie pas les jetons, alors l’autre personne sera remboursée de son envoi grâce à une protection inscrite dans un smart contract.

L’intérêt du réseau Bancor est d’apporter de la liquidité à des jetons dont l’offre et la demande sont faibles.

Si les bitcoin ou les Ether n’ont pas de problème de liquidité, parce que de très nombreux acheteurs et vendeurs se rencontrent sur des plateformes d’échange, ce n’est pas le cas de milliers de jetons dont l’efficacité locale peut être très forte pour le petit nombre d’utilisateurs mais dont les échanges à l’échelle mondiale sont extrêmement faibles. Le protocole Bancor permet ainsi de convertir des jetons entre eux plutôt que devoir les échanger sur une plateforme traditionnelle d’échange de jetons. En juin 2017, Bancor a réalisé une ICO leur permettant de lever l’équivalent de 153 millions de dollars en seulement quelques heures.

D’un point de vue financier, le réseau Bancor et son fonctionnement via Atomic Swap pourrait être comparé au rôle des banques centrales qui détiennent des réserves de devises. Exception faite que les échanges de jetons se réalisent de pair-à-pair, sont sécurisés et ne passent par aucun intermédiaire, pas même une plateforme d’échange.

Bernard Lietaer, disparu le 4 février 2019, était un économiste et universitaire belge, professeur à l’université de Berkeley et cofondateur de l’Euro. Spécialiste des questions monétaires internationales, il fut l’un des plus grands promoteurs des monnaies complémentaires comme outil de résilience économique et territoriale. Soutien de la première heure du réseau Bancor, il le définissait ainsi : « l’idée principale est de permettre aux utilisateurs d’émettre des devises complémentaires à la condition que le jeton émis détienne une ou plusieurs réserves, telles que des devises numériques ou conventionnelles, ainsi que d’autres actifs. Cela permettra à toute devise utilisant ce protocole d’être échangée contre toute autre devise faisant partie du “panier de réserve“, sans avoir besoin d’une contrepartie pour le faire[3] ».

Pour une fondation à but non lucratif comme Grassroots Economics, l’intérêt d’utiliser le réseau Bancor est ainsi de pouvoir offrir une bien meilleure liquidité aux monnaies communautaires créées localement, en permettant à leur détenteur non seulement de les utiliser à l’échelle locale, mais également de les convertir dans n’importe quel autre cryptodevises, bitcoin, Ether ou autre jeton ainsi qu’en monnaie fiduciaire.

[1] Sarafu veut dire « monnaie » swahili.

[2] En référence à « Bancor », mot proposé par l’économiste Keynes, et refusé par les Etats-Unis, pour décrire une monnaie servant d’étalon monétaire international lors de la conférence de Bretton Woods en 1944.

[3] « Bernard Lietaer, un guerrier de la justice financière qui s’est battu pour la liberté de la monnaie », Supportivy.com, 7 février 2019.


Cet article est extrait du livre blanc « Blockchain et développement durable », à télécharger librement sur ce site.

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